Document de travail pour le voyage à LisbonneAutour des mathématiques
La ville de Lisbonne fut durant les XV$^{\text{e}}$ et XVI$^{\text{e}}$ siècles un centre scientifique d'importance en Europe. Les rois du Portugal en ont fait leur capitale en 1255, à la fin de la période musulmane, et son port va alors jouer un rôle d'importance pour son essort. Les constructeurs de navires vont réussir la prouesse technique d'augmenter les capacités de tonnage sur cette période. Les bateaux pourront alors posséder une puissance d'artillerie bien supérieure à tout ce qui existait à l'époque, et pourront également transporter bien plus de marchandises.
À cette époque se généralise en Europe, et notamment au Portugal, le mouvement universitaire, qui cherche en sciences à obtenir des textes grecs que seuls des savants arabes avaient pu récupérer et améliorer. Certains sont même originaux et ne doivent rien aux penseurs antiques.
Le Portugal possédait alors la technologie et les connaissances scientifiques pour pouvoir traverser les étendues océaniques et se lancer dans les Grandes Découvertes. Il est en effet nécessaire pour naviguer sur des mers inconnues d'être capable de rapidement constituer des cartes, mais aussi de se situer sur la Terre grâce à l'astronomie et aux instruments de mesure associés. La volonté politique de conquêtes économiques va créer un besoin en scientifiques.
C'est ainsi qu'un grand nombre de cartographes et d'astronomes se rendent à Lisbonne durant le XV$^{\text{e}}$, tel le génois Bartolomeo Colombo qui s'installe à Lisbonne au début des années 1470 en tant que cartographe et qui y sera rejoint par son frère Cristoforo en 1477.
Portrait présumé de Christophe Colomb (Cristoforo Colombo)
Cependant, même si le Roi João III refuse le projet d'expédition de Christophe Colomb, ce n'est pas qu'il ne croit pas qu'un trajet par l'ouest vers la Chine n'existe pas, il sait que la Terre est ronde, mais surtout, car ses propres cartographes l'ont averti que la Terre est bien plus grande que ce Colomb annonce. Un tel voyage, sans escale, était alors impossible pour les navires de l'époque. Ce n'est donc pas par ignorance que le Portugal n'a pas découvert le continent américain, mais bien à cause d'une connaissance plus fine des dimensions du monde que les autres puissances européennes.
Concernant les mathématiques, la cartographie et l'astronomie exploitent les domaines de la géométrie sphérique et de la trigonométrie. La Terre étant supposée sphérique à l'époque il faut travailler avec une autre géométrie que celle du plan, une géométrie de la sphère. Mais pour établir des cartes il faut réaliser des transformations qui permettent d'applatir une sphère, et comme nous le verrons cela ne peut se faire sans contrainte.
Mappemonde de Diego Ribeo de 1529 Cliquer pour l'afficher en plein écran
Par ailleurs, depuis l'Antiquité, la façon la plus pratique d'étudier les astres est de considérer que le ciel est en forme de voute, et que toutes les étoiles et planètes visibles sont inscrites sur une sphère que l'on observe depuis son centre. Pour noter les positions observées il faut utiliser des angles et la trigonométrie est donc nécessaire pour exploiter les données récoltées.
De nombreux instruments d'observation sont utilisés depuis l'Antiquité. La civilisation arabo-musulmane va contribuer à leurs développements et les Portugais vont généraliser leur emploi durant la période des Grandes Découvertes.
Les rois du Portugal vont créer des cabinets de physique regroupant de tels instruments, mais la plupart d'entre eux furent perdus et détruits durant le grand seisme du 1er novembre 1755 à Lisbonne.
Astrolabe portugais datant de 1555
Boussole marine
Quadrant de navigation
Challenge durant le voyage :
Prendre en photo une statue de Christophe Colomb ;
Prendre en photo une statue ou une référence à d'autres grands navigateurs ;
Prendre en photo une maquette ou une image d'un navire portugais du XV$^{\text{e}}$ ou XVI$^{\text{e}}$ siècle.
La géométrie sphérique
La géométrie sphérique est une géométrie non euclidienne dans laquelle les objets appartiennent à un cercle. Les points de cette géométrie sont ceux de la sphère, mais la notion de droite n'est plus identique. En effet, la droite (au sens de la géométrie classique) reliant deux points de la sphère n'est pas sur la sphère. C'est la notion de « grand cercle » qui se substitue en partie à celle de « droite ».
On considère dans toute cette partie une sphère $\mathcal{S}$ de l'espace de centre $O$.
Soient $A$ et $B$ deux points de la sphère $\mathcal{S}$ de centre $O$.
Un grand cercle passant par $A$ et $B$ est un cercle de centre $O$ passant par $A$ et $B$.
On remarque que si $A$ et $B$ sont diamétralement opposés alors il existe une infinité de grands cercles passant par $A$ et $B$. Ce sont tous les cercles obtenus par l'intersection entre la sphère et tous les plans passant par la droite $(AB)$. On est ici dans la situation où $A$ et $B$ représentent par exemple le pôle nord et le pôle sud. Tous les méridiens correspondent à des demi-grands cercles.
Par contre, si les points $A$ et $B$ ne sont pas diamétralement opposés, alors le grand cercle passant par $A$ et $B$ est unique. C'est l'intersection entre le plan $(AOB)$ et la sphère.
Soient $A$ et $B$ deux points de la sphère $\mathcal{S}$.
Le plus court chemin entre $A$ et $B$ sur $\mathcal{S}$ est la longueur du plus petit arc du grand cercle passant par $A$ et $B$.
Cette plus petite longueur correspond à ce que nous appelons la distance à « vol d'oiseau ».
On peut donc définir la distance en géométrie sphérique entre deux points d'une sphère comme la longueur du plus court chemin les reliant. On l'appelle distance orthodromique.
Si on définit un système de repérage basé en longitude et latitude sur une sphère de rayon $R$, alors on peut donner une formule pour obtenir la distance entre deux points.
Ainsi, la distance $D$ entre deux points dont on connaît les latitudes $\delta$ et $\delta'$, et les longitudes respectives $\lambda$ et $\lambda'$, vaut :
Les coordonnées de Créteil sont : $\delta = 48,778\,2^{\circ}$ et $\lambda = 2,454\,3^{\circ}$.
Celles de Lisbonne sont : 11 $\delta' = 38,716\,7^{\circ}$ et $\lambda' = -9,133\,3^{\circ}$.
La distance à « vol d'oiseau » entre Créteil et Lisbonne est donc, d'après la formule précédente :
En prenant $R\approx 6\,371$ km pour le rayon terrestre, on obtient une distance Créteil/Lisbonne de :
$D\approx 1\,452$ km.
Si vous essayez d'effectuer ces opérations sur vos calculatrices, il y aura peut-être un problème avec la fonction arccos qui ne fonctionne pas toujours très bien avec des angles en degrés. Il vaut donc mieux tous les convertir en radians auparavant.
Soient $\mathcal{C}_1$ et $\mathcal{C}_2$ deux grands cercles distincts de la sphères $\mathcal{S}$.
On a alors que $\mathcal{C}_1$ et $\mathcal{C}_2$ sont sécants en exactement deux points diamétralement opposés.
Ainsi, deux grands cercles ne sont jamais « parallèles » au sens de droites parallèles de la géométrie euclidienne.
Soient $A$ et $B$ deux points distincts de $\mathcal{S}$.
Le grand cercle passant par $A$ et $B$ est composé de deux arcs allant de $A$ à $B$. On note $\overset{\frown}{AB}$ le plus court des deux.
Soient $A$, $B$ et $C$ trois points distincts de $\mathcal{S}$.
Le triangle sphérique $ABC$ est constitué des trois arcs $\overset{\frown}{AB}$, $\overset{\frown}{Ac}$ et $\overset{\frown}{BC}$.
Soit $ABC$ un triangle sphérique.
Les plans $AOB$ et $AOC$ forment quatre angles dont un qui est « intérieur » au triangle. On l'appelle l'angle associé au sommet $A$.
On définit de même les angles associés au sommet $B$ et $C$.
Pour définir l'angle associé à $A$ on aurait également pu imaginer les angles entre les tangentes en $A$ sur les grands cercles passant par $A$ et $B$ et par $A$ et $C$.
On peut voir qu'il existe des triangles rectangles, birectangles (avec deux angles droits) et trirectangles (avec trois angles droits).
Soit $ABC$ un triangle sphérique dont les mesures en radians des angles associés à chacun des sommets $A$, $B$ et $C$ sont notées respectivement $a$, $b$ et $c$.
L'aire $\mathcal{A}$ du triangle $ABC$ vérifie
$$\mathcal{A}=R^2(a+b+c-\pi),$$
avec $R$ le rayon de la sphère.
L'aire d'un triangle trirectangle vaut donc $R^2\left( \dfrac{\pi}{2}+\dfrac{\pi}{2}+\dfrac{\pi}{2}-\pi \right)$ $=$ $\dfrac{\pi}{2}R^2$.
Or, l'aire de la sphère est égale à $4\pi R^2$, ainsi l'aire d'un triangle trirectangle représente $\dfrac{1}{8}$ de celle de la sphère.
En effet, on a : $\dfrac{\frac{\pi}{2}R^2}{4\pi R^2}$ $=$ $\dfrac{\frac{1}{2}}{4}$ $=$ $\dfrac{1}{8}$.
Dans la figure précédente, on peut imaginer, avec les cercles tracés, la sphère découpée en huit triangles trirectangles (quatre dans l'hémisphère nord et quatre dans la sud).
Une aire étant un nombre positif, nous avons la propriété suivante :
Soit $ABC$ un triangle sphérique dont les mesures en radians des angles associés à chacun des sommets $A$, $B$ et $C$ sont notées respectivement $a$, $b$ et $c$.
On a alors :
$$a+b+c-\pi\geq 0.$$
Comme nous l'avions déjà remarqué sur l'exemple des triangles trirectangles, cette propriété signifie donc que la somme des mesures des angles d'un triangle sphérique est toujours supérieure à $180^{\circ}$ (ou $\pi$ radians).
Soient $A$ et $B$ deux points de la sphère $\mathcal{S}$ de centre $O$ et de rayon $R$.
On note $\gamma$ la mesure de l'angle $\widehat{AOB}$.
On a alors que la longueur de $\overset{\frown}{AB}$ vaut $\gamma R$.
Soit $ABC$ un triangle sphérique. On note $\alpha$ la mesure en radians de l'angle $\widehat{BOC}$, $\beta$ celle de $\widehat{AOC}$ et $\gamma$ celle de $\widehat{AOB}$.
On dit alors que le triangle $ABC$ est de côtés $\alpha$, $\beta$ et $\gamma$.
Cette définition est justifiée par le fait que les longueurs des côtés $\overset{\frown}{AB}$, $\overset{\frown}{AC}$ et $\overset{\frown}{BC}$ sont toutes proportionnelles au rayon $R$ et valent respectivement $\alpha R$, $\beta R$ et $\gamma R$. La seule connaissance des angles par rapport au centre de la sphère définit donc la longueur de chaque côté.
Soit $ABC$ un triangle sphérique de côtés $\alpha$, $\beta$ et $\gamma$ et d'angles $a$, $b$ et $c$ associés aux sommets $A$, $B$ et $C$.
On a alors :
La géométrie sphérique possède encore de nombreux résultats et d'autres formules mais nous ne pouvons tous les exposer ici. Nous laissons le soin aux lectrices et lecteurs curieux de les découvrir par eux-mêmes.
Challenge :
Donner le nom d'un mathématicien arabe de la péninsule ibérique ayant écrit un traité de trigonométrie sphérique ;
Sur quelle courbe se trouve le plus court chemin entre deux points situés sur une sphère ?
Que peut-on dire de la somme des mesures des angles d'un triangle sphérique ?
La cartographie
Construire une carte revient à représenter les points d'une sphère à plat sur un plan. Il existe de nombreuses façon de procéder mais aucune des méthodes ne pourra se faire sans déformation. Il est en effet impossible, par exemple, d'enlever l'écorce d'une orange et de la mettre à plat sans la déformer.
Les premiers cartographes grecs ont utilisé des transformations géométriques. La projection cylindrique par exemple imagine un cylindre qui entoure une sphère. À tout point $A$ de la sphère on peut associer un point $A'$ situé sur un diamètre de la sphère parallèle à la hauteur du cylindre tel que $(AA')$ soit perpendiculaire à ce diamètre. Le projeté du point $A$ est alors le point d'intersection entre la demi-droite $[A'A)$ et le cylindre.
Pour la Terre, on peut décider d'orienter le cylindre parallèlement à l'axe passant par les pôles ou non. On obtient avec les projections cylindriques des cartes comme ci-dessous :