Voyage scolaire à Barcelone
Document de travail en mathématiques1Abraham bar Hiyya Hanassi
La vie d'Abrahaman bar Hiyya Hanassi s'étale de la fin du XIe siècle jusqu'à la première moitié du XIIe, essentiellement à Barcelone. Mais pour mieux comprendre ses travaux en mathématiques nous devons rapidement décrire l'Espagne de cette époque ainsi que la situation de la discipline, alors au début de la transition entre Orient et Occident.
1.1Contexte historique
Depuis le VIIIe siècle l'Espagne était sous domination musulmane avec notamment, après la conquète militaire, l'installation d'un califat à Cordoue. Les structures politiques, économiques et culturelles qui se mettent en place dans la péninsule façonnent une civilisation florissante, marquée par un essor des sciences, des arts et du commerce, que l'on appelle Al-Andalus.
La péninsulé ibérique en 732
Depuis le nord, des royaumes chrétiens se constituent ensuite et mènent régulièrement des guerres contre Al-Andalus, cherchant à s'étendre progressivement vers le sud. Dans ce contexte, Barcelone est d'abord conquise par les Francs en 801 et intégrée à la Marche d'Espagne de l'Empire carolingien. Progressivement, le comté de Barcelone acquiert une autonomie croissante vis-à-vis du pouvoir franc, jusqu'à devenir le centre politique de la future Principauté de Catalogne, qui sera plus tard unie au royaume d'Aragon.
La péninsulé ibérique autour de 1000
Au début du XIe siècle, le califat de Cordoue, déjà fragilisé par des tensions internes, entre dans une période de troubles connue sous le nom de fitna d’al-Andalus (1009-1031). Ce conflit entraîne la dissolution du califat et la fragmentation du pouvoir en une multitude de petits royaumes indépendants, les taïfas, souvent rivaux et vulnérables face aux avancées des royaumes chrétiens du nord.
La péninsulé ibérique en 1144
1.2Contexte mathématique
Au début du XIIe siècle, l'Espagne était un point de convergence crucial pour les mathématiques, caractérisé par une interaction complexe d'influences arabes héritées d'Al-Andalus et les prémices d'un intérêt croissant pour cette discipline en Europe.
Al-Andalus a servi de trait d'union entre l'Orient et l'Occident pour la diffusion des connaissances scientifiques, notamment mathématiques. Des villes importantes comme Cordoue, Grenade, Malaga et Tolède ont intégré les pays d'Islam, où la langue arabe dominait l'écriture de la science. Ainsi, un héritage scientifique et culturel riche s'est constitué, basé sur la récupération du savoir grec augmenté des contributions des savants des pays d'Islam depuis le Bagdad du IXe siècle.
Tolède, en particulier, a émergé comme un centre culturel et scientifique de premier plan, conservant dans ses grandes bibliothèques une abondance de documents témoignant de l'érudition des pays d'Islam. La coopération entre musulmans, chrétiens et juifs a favorisé une tradition savante unique. Même après la reconquête de Tolède par les chrétiens castillans en 1085, la langue arabe est restée prédominante dans la vie quotidienne, créant un climat propice à l'appropriation par l'Europe latine des savoirs et des pratiques des pays d'Islam.
Ce contexte a mené à un vaste mouvement de traductions au XIIe siècle, de l'arabe vers le latin et l'hébreu, puis vers certaines langues vernaculaires du sud de l'Europe. De nombreux érudits de toute l'Europe se sont rendus à Tolède pour traduire les savoirs des pays d'Islam dans des domaines variés tels que la philosophie, la médecine, l'astronomie, l'optique et les mathématiques. Ce corpus mathématique comprenait des œuvres fondamentales telles que les Éléments d'Euclide, De la mesure du cercle d'Archimède, l'Almageste de Ptolémée, le commentaire aux Éléments d'an-Nayrizī, le Livre de géométrie des frères Banū Mūsā, et l'Algèbre d'al-Khwārizmī.
Al-kitāb Al-Mukhtaṣar fī Hisāb Al-Gabr Wa'l-muqabala d'Al-Khwārizmī rédigé entre 813 et 833
L'Algèbre d'Al-Khwārizmī, rédigé à Bagdad entre 813 et 833, est considéré comme l'acte de naissance officiel de l'algèbre des équations. Al-Khwārizmī y donnait une classification des six équations de degré inférieur ou égal à deux et décrivait pas à pas leurs algorithmes de résolution.
Ainsi, contrairement à notre notation moderne d'une équation du second degré
ax2+bx+x=0,
avec a, b et c trois réels (avec a≠0), Al-Khwārizmī, qui comme tous les mathématiciens de l'époque ignore les nombres négatifs, considère les équations :
ax2=bx ;
ax2=c ;
bx=c ;
ax2+bx=c ;
ax2+c=bx ;
bx+c=ax2.
Al-Khwārizmī n'utilise pas ces notations algébriques, le calcul littéral et la notation à l'aide de lettres pour tous les nombres ne seront institués qu'à partir de XVIIe siècle
avec notamment François Viète et René Descartes.
Al-Khwārizmī illustre chacun de ces cas par des exemples et propose pour tous une méthode de résolution. C'est cette façon de procéder qui finira par donner le mot « algorithme ».
Les traductions arabo-latines de ce texte fondateur ont introduit pour la première fois en Occident chrétien le terme algèbre et les procédés mathématiques qui s'y rattachent. De petits traités élémentaires de calcul appelés algorismes se sont également diffusés en Europe.
Cependant, il est important de noter que la réception des mathématiques arabes en Occident chrétien a été différenciée. Certains textes ont été traduits et diffusés, tandis que d'autres sont restés peu connus, voire inconnus. De plus, un certain mythe s'est créé, minimisant les différences fondamentales entre les contributions arabes et celles des grecs anciens. Malgré ces nuances, le rôle d'Al-Andalus et du mouvement de traduction au XIIe siècle a été essentiel pour la transmission et l'appropriation des connaissances mathématiques arabes en Europe, jetant les bases d'un nouvel essor mathématique européen.
1.3Éléments biographiques d'Abraham bar Hiyya Hanassi
Abraham bar Hiyya Hanassi est né aux alentours de 1070 à Barcelone, en Espagne, et est décédé en Provence entre 1136 et 1145. Il était un érudit juif catalan ayant embrassé divers champs du savoir : rabbin, mathématicien, astronome et philosophe. On le connaît aussi sous le nom d'Abraham Savasorda. Ce surnom viendrait de l'arabe Sahab al chorta, qui signifie littéralement « ami de la police », mais qui désignerait en réalité une fonction de responsable de la sécurité.
Bien que Barcelone ait été sa ville de résidence principale, Abraham bar Hiyya entretenait également des liens avec les communautés juives du sud de la France. Il aurait vécu une partie de sa vie dans la taïfa de Saragosse.
Les détails sur sa vie restent peu nombreux, mais son influence intellectuelle est indéniable. Il est considéré comme l'un des précurseurs du renouveau des mathématiques en Europe et a joué un rôle majeur dans l’introduction de l’hébreu comme langue scientifique.
Ancienne synagogue de Barcelone dans le quartier médieval
En plus de son travail intellectuel, il aurait occupé un poste important à la cour royale de Saragosse en tant que ministre de la police, probablement auprès des Banu Hud, la dynastie régnant sur Saragosse et Lleida.
On suppose qu'Abraham bar Hiyya a reçu une partie de son éducation dans un centre d’études musulman, peut-être à Saragosse, où les sciences étaient particulièrement développées. Après la conquête de cette ville par les chrétiens en 1118, il aurait intégré l’administration du roi d’Aragon ou du comte de Barcelone.
Son érudition en astronomie et en mathématiques, disciplines alors seulement accessibles en arabe, laisse penser qu'il a vécu dans une région sous influence musulmane avant de poursuivre son travail dans un cadre chrétien.
1.4Travaux mathématiques d'Abraham bar Hiyya Hanassi
Abraham bar Hiyya est l’auteur d’un important traité de géométrie dans lequel il aborde le calcul des aires et des volumes. Son ouvrage contient également des éléments sur les équations du second degré, étudiées à travers des problèmes géométriques. Ce texte, rédigé à l’origine en hébreu, s’inspire en grande partie de la seconde partie de l’Algèbre d’Al-Khwarizmi. Cependant, l’œuvre d’Abraham bar Hiyya est plus détaillée et développe davantage les démonstrations et les applications pratiques.
La diffusion des équations quadratiques en Occident
En 1145, Abraham bar Hiyya collabore avec le traducteur Platon de Tivoli pour adapter son livre en latin sous le titre Liber embadorum (ou Livre des Mesures). Cette traduction abrégée joue un rôle clé dans la transmission des connaissances mathématiques en Europe médiévale, à une époque où le savoir scientifique circule encore difficilement entre les mondes musulman, juif et chrétien.
Le Liber embadorum contribue notamment à introduire en Occident la résolution des équations du second degré sous la forme :
x2−ax+b=0,
avec a et b des nombres positifs, les nombres négatifs n'ayant pas été réellement découverts et n'étant pas utilisés pour encore quelques siècles.
Ce texte influence profondément les mathématiciens européens, dont Leonardo Fibonacci, auteur du célèbre Liber Abaci (1202), qui popularisera à son tour ces connaissances en Europe.
Un traité influent sur l’algèbre et la géométrie
L’ouvrage le plus marquant d’Abraham bar Hiyya est son Ḥibbūr ha-Meshiḥah ve-ha-Tishboret (Traité de Mesure et de Calcul), un traité rédigé en hébreu qui combine des éléments de l’algèbre arabe et de la géométrie appliquée. Ce texte contient la première solution complète d’une équation du second degré connue en Europe. En s’appuyant sur des raisonnements géométriques, il explique comment résoudre ces équations et illustre leurs applications concrètes, notamment dans le calcul des surfaces et des volumes.
Édition du XVe siècle du Liber Embadorum
Une approche originale du calcul de l’aire du disque
Abraham bar Hiyya propose également une approche originale pour démontrer la formule de l’aire d’un disque. Il part de la relation entre la circonférence L d’un cercle de rayon R et son aire A, qu’il exprime sous la forme suivante :
A=21LR.
En effet, nous savons que L=2πR et donc 21LR=21×2πR×R=πR2=A.
Son raisonnement repose sur une méthode de découpage et de réarrangement : il imagine que le disque est composé d’une infinité de cercles concentriques. En coupant ces cercles et en les déployant, il obtient approximativement un triangle dont la hauteur est le rayon R et la base est la circonférence L, ce qui donne une aire égale à celle du disque.
Et selon la formule de l'aire du disque 2b×h il obtient A=2LR=21LR.
Portions infinitésimales du cercle aplaties et empilées pour former un triangle.
Cette approche, même si elle manque de rigueur, est remarquable puisqu'elle anticipe la méthode des indivisibles de Cavalieri et surtout du calcul infinitésimal de Newton et Leibniz, qui ne seront pleinement développés qu’au XVIIe siècle.
Question 1
Pourquoi Al-Khwārizmī doit-il étudier plusieurs cas pour les équations du second degré alors que nous n'en avons aujourd'hui qu'une seule écriture ?
Question 2
Expliquer pourquoi les historiens pensent que Bar Hiyya a étudié les mathématiques dans un centre d'études musulman ?
Question 3
Après quel événement Bar Hiyya quitte-t-il Saragosse pour Barcelone ? Quelle est alors la puissance politique qui règne sur la Catalogne ?
Question 4
Quelle importance peut-on accorder à Bar Hiyya par rapport aux mathématiques européennes du Moyen Âge ?
Question 5
Quels facteurs politiques et culturels ont permis à Bar Hiyya une telle influence en mathématiques ?
2Antoni Gaudí2.1Éléments biographiques
Antoni Gaudí i Cornet (1852-1926) était un architecte catalan emblématique du modernisme. Né le 25 juin 1852 à Reus ou Riudoms, en Catalogne, il était le plus jeune de cinq enfants d'un père chaudronnier, Francesc Gaudí i Serra, et d'une mère, Antònia Cornet i Bertran. Dès son plus jeune âge, Gaudí montra un intérêt marqué pour l'architecture et la nature, influencé par les formes géométriques qu'il observait dans l'atelier de son père.
En 1868, il s'installe à Barcelone pour poursuivre ses études secondaires au Couvent du Carmel. Par la suite, il intègre l'École de la Llotja et l'École Technique Supérieure d'Architecture de Barcelone, où il obtient son diplôme en 1878. Pendant ses années d'études, Gaudí travaille comme dessinateur pour divers architectes, dont Leandre Serrallach, Joan Martorell, Emili Sala i Cortés, Francisco de Paula del Villar y Lozano et Josep Fontserè. Cette expérience pratique enrichit sa formation académique et façonne son approche unique de l'architecture.
Portrait d'Antoni Gaudí en 1878
Après l'obtention de son diplôme, Gaudí reçoit plusieurs commandes, dont la conception de réverbères pour la Plaça Reial à Barcelone en 1879. Sa première grande réalisation est la Casa Vicens, construite entre 1883 et 1885, qui illustre son style naissant mêlant influences orientales et motifs naturalistes. En 1883, il est chargé de poursuivre les travaux de la Sagrada Família, un projet qui deviendra l'œuvre de sa vie. Gaudí consacre les dernières années de sa carrière exclusivement à ce monument, développant une architecture organique inspirée par la nature et la foi chrétienne. Il décède le 10 juin 1926 à Barcelone, après avoir été heurté par un tramway, et est inhumé dans la crypte de la Sagrada Família.
En reconnaissance de son œuvre exceptionnelle, l'UNESCO a inscrit sept de ses réalisations au patrimoine mondial de l'humanité. Ces monuments emblématiques illustrent l'évolution de son style unique et son approche novatrice de l'architecture :
Le parc Güell (1900-1914), un jardin urbain aux formes organiques et colorées.
Le palais Güell (1886-1888), une résidence privée commandée par son mécène Eusebi Güell, combinant luxe et innovation structurelle.
La Casa Milà (1906-1912), surnommée "La Pedrera", avec ses formes ondulées et son toit caractéristique.
La Casa Vicens (1883-1885), première grande réalisation de Gaudí, inspirée de l'art mauresque et orientaliste.
La façade de la Nativité et la crypte de la Sagrada Família, témoignage de sa vision monumentale et de sa maîtrise de la symbolique religieuse.
La Casa Batlló (1904-1906), dont la façade évoque un monde féerique, inspiré des formes marines.
La crypte de la Colonie Güell (1898-1914), un laboratoire expérimental où il a développé ses techniques architecturales basées sur la chaînette inversée.
2.2Éléments mathématiques dans les œuvres de Gaudí
Gaudí a intégré les mathématiques dans ses créations, en s'inspirant des formes naturelles pour concevoir des structures innovantes. Il rejetait les angles droits, rares dans la nature, et privilégiait des formes géométriques complexes telles que les paraboloïdes hyperboliques, les hyperboloïdes, les hélicoïdes et les conoïdes. Ces surfaces, appelées « formes géométriques réglées », peuvent être générées par le mouvement d'une droite, appelée « génératrice », le long de courbes directrices. Elles permettent de créer des structures aux courbes élégantes et harmonieuses, reflétant les formes organiques observées dans le monde naturel.
Paraboloïde hyperbolique
Un paraboloïde hyperbolique est une surface courbe qui ressemble à une selle de cheval. Il possède une courbure double, c'est-à-dire qu'il est courbé vers le haut dans une direction et vers le bas dans une autre.
Équation en coordonnées cartésiennes : z=a2x2−b2y2,
avec a et b des constantes positives qui déterminent l'étirement de la surface.
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Hyperboloïde
Un hyperboloïde est une surface courbe qui peut être de révolution ou réglée, selon sa forme. Il en existe deux types :
Hyperboloïde à une nappe (ressemble à un sablier) ;
Hyperboloïde à deux nappes (ressemble à deux bols empilés à l'envers)
Équation en coordonnées cartésiennes
Hyperboloïde à une nappe:
a2x2+b2y2−c2z2=1.
Hyperboloïde à deux nappes :
a2x2+b2y2−c2z2=−1.
Pour ces deux équations cartésienne a, b et c sont des réels non nuls.
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Par ailleurs l'hyperboloïde à une nappe est une surface réglée, ce qui signifie qu'elle peut être construite avec des lignes droites (ou des poutres). Les formes obtenues sont très résistantes aux forces mécaniques, ce qui la rend utile dans l'architecture et l'ingénierie (ex : tours de refroidissement des centrales électriques). Gaudí les a utilisées dans la conception des colonnes de la Sagrada Família pour maximiser la stabilité.
Hélicoïde
Un hélicoïde est une surface qui ressemble à un escalier en colimaçon. Il est obtenu en faisant tourner et monter une droite le long d’un axe vertical.
Il n'y a pas d'équation cartésienne pour cette surface mais une paramétrisation (comme avec les droites de l'espace).
Équation en coordonnées paramétriques :⎩⎪⎨⎪⎧x=rcos(t)y=rsin(t)z=bt,
avec r le rayon et t le paramètre d’angle et b contrôle la hauteur de l'hélicoïde.
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L'hélicoïde est une surface minimale, ce qui signifie qu'elle minimise l'aire pour une courbure donnée.
On peut noter que la molécule d'ADN et les escaliers en colimaçon ont une structure hélicoïdale.
Gaudí a utilisé des colonnes hélicoïdales dans la Sagrada Família pour créer des formes dynamiques qui semblent en mouvement.
Conoïde
Un conoïde est une surface générée par une droite mobile qui passe toujours par une ligne fixe et qui est dirigée selon une autre droite.
Équation en coordonnées paramétriques (cas du conoïde général) :⎩⎪⎨⎪⎧x=ucos(v)y=usin(v)z=v,
avec u et v sont des nombres réels.
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La conoïde est une surface réglée, que l'on peut construire avec des lignes droites et donc des poutres par exemple.
Elle est utilisée dans l'architecture et l'ingénierie pour concevoir des structures légères et résistantes.
Gaudí l'a intégrée dans plusieurs de ses œuvres pour donner de la fluidité aux formes.
Gaudí affirmait que l'ensembl de ces formes, en variant constamment l'incidence de la lumière, possèdent une richesse de nuances qui rend superflue toute ornementation supplémentaire. Il considérait l'art gothique comme imparfait, le qualifiant de « style du compas, de la formule de la répétition industrielle », et cherchait à dépasser ces limitations en s'inspirant directement de la nature.
Crypte de la Colonie Güell
Entrée du Palais Güell
Gaudí s'est également servi des mathématiques en utilisant la courbe de la chaînette inversée, ou caténaire inversée.
En suspendant une chaîne par ses extrémités, celle-ci forme une courbe naturelle sous l'effet de la gravité.
Cette courbe a été utilisée empiriquement par les architectes depuis des millénaires, car elle permet de concevoir des dômes capables de se maintenir en équilibre uniquement grâce à leur propre poids. En effet, lorsqu'un arc ou un dôme suit la forme d'une chaînette inversée, toutes les forces internes sont des forces de compression, ce qui optimise la stabilité de la structure. Toute autre forme induirait des forces de traction ou de flexion, rendant la construction plus fragile et nécessitant des renforts supplémentaires, tels que des piliers ou des contreforts, pour éviter son effondrement au fil du temps.
Le dome de la cathédrale Santa Maria Del Fiore à Florence (XIVe siècle) est en forme de chaînette inversée
L'arc de Ctésiphon (Irak) construit au IIIe siècle par Chapour Ier suit également de manière empirique une chaînette inversée
À l'aide de la mathématisation de la théorie de Newton, à l'époque de Gaudí on connaissait déjà l'équation des chaînettes inversées. Étudions succinctement leurs propriétés mathématiques.
La chaînette inversée et ses propriétés mathématiques
Nous aurons besoin dans ce paragraphe de la définition des fonctions cosinus et sinus hyperboliques, qui sont respectivement notées cosh et sinh et définies pour tout réel x par :
cosh(x)=2ex+e−x et sinh(x)=2ex−e−x.Équation de la chaînette
La forme générale d'une chaînette suspendue est donnée par l’équation :
y=acosh(ax)=2a(eax+e−ax),
avec a une constante réelle strictement positive liée à la tension du câble.
0,0
y=cosh(x)
y=sinh(x)
La chaînette inversée, utilisée en architecture pour la construction d’arcs et de voûtes, est obtenue en retournant cette courbe.
Gaudí exploitait cette forme en inversant la courbe pour concevoir des arcs et des voûtes en compression pure, permettant de créer des structures stables et esthétiques. Cette approche lui a permis de concevoir des colonnes élancées et des structures allégées, offrant une plus grande liberté architecturale.
La Casa Milà (La Pedrera) érigé entre 1906 et 1910 par Antoni Gaudí
Maquette constituée de ficelles que Gaudí a utilisé pour la répartition des charges et la recherche de l'équilibre à l'aide de chaînettes
Selon son biographe Juan Bassegoda Nonell, Gaudí avait observé que les architectes traditionnels utilisaient principalement des formes simples dessinées à l'aide de l'équerre et du compas, telles que des cercles, des triangles et des rectangles. Cependant, ces formes géométriques simples sont rarement présentes dans la nature, qui produit des structures d'une complexité et d'une efficacité remarquables, comme celle d'un arbre. Gaudí s'est donc tourné vers ces formes naturelles pour concevoir des édifices plus harmonieux et fonctionnels.
Dans la conception de la Sagrada Família, Gaudí a imaginé la structure comme une forêt, avec des colonnes arborescentes se divisant en branches pour soutenir des voûtes formées d'hyperboloïdes entrelacés. Les colonnes hélicoïdales à double hélice rappellent les troncs et les branches des arbres, créant une architecture évoquant les fractales, ces structures géométriques où chaque partie est une réplique réduite du tout.
Gaudí préférait travailler avec des maquettes tridimensionnelles plutôt qu'avec des plans en deux dimensions. Pour l'église de la Colonia Güell, il a construit une maquette à grande échelle, suspendant des ficelles et des sacs de plomb pour modéliser les courbes des arcs et des voûtes. En photographiant cette maquette inversée, il obtenait la structure souhaitée pour les colonnes et les arcs. Cette méthode empirique lui permettait de visualiser et de concevoir des formes complexes en harmonie avec les lois naturelles.
Gaudí déclarait : « La ligne droite appartient aux hommes, la courbe à Dieu », reflétant ainsi sa quête d'une architecture inspirée par la nature et la spiritualité. Son approche novatrice et son intégration des mathématiques dans l'architecture continuent d'influencer et d'inspirer les architectes et les artistes du monde entier.
Question 6
Quels aspects de l'œuvre de Gaudí le caractérisent-ils et le différencient-ils des architectes de son époque ?
Question 7
Expliquer pourquoi la méthode des ficelles de Gaudí permet de produire des formes architecturales résistantes.
Question 8
Démontrer que la dérivée de la fonction ch et la fonction sh et réciproquement.
3Barcelone et la définition du mètre3.1Barcelone et l'histoire du mètre
Barcelone occupe une place importante dans l'histoire de la définition du mètre. En 1791, l'Assemblée nationale constituante française décide d'établir une unité de mesure universelle basée sur la Terre elle-même. Après de nombreux débats, le mètre est alors défini comme la dix-millionième partie du quart du méridien terrestre.
0,0
A
B
C
N
S
Pour déterminer cette longueur, une expédition scientifique est organisée afin de mesurer précisément un arc de méridien s'étendant de Dunkerque, en France, à Barcelone, en Espagne.
Des mesures doivent être prises entre ces deux villes à l'aide de la méthode de triangulation.
En effet, la loi des sinus permet dans un triangle où on ne connait qu'une seule longueur mais deux angles, de déterminer les deux longueurs restantes.
Loi des sinus
0,0
A
B
A
B
C
α
β
γ
a
b
c
Dans un triangle ABC où on note α, β et γ les angles comme dans la figure ci-dessus, on a :
asin(α)=bsin(β)=csin(γ).
Cette propriété est donc très pratique, car il suffit de ne mesurer qu'une seule longueur (il faut trouver une longue ligne droite entre deux villes par exemple) pour qu'en construisant une série de triangles adjacents on puisse obtenir autant de longueurs que l'on souhaite.
Il ne reste alors qu'à mesurer des angles, tâches plus simple que des longueurs à l'aide d'un appareil comme le cercle répétiteur de Borda.
Cercle répétiteur de Borda
Imaginons que la longueur mesurée sur Terre soit située entre deux points A et B. L'opérateur du cercle répétiteur se place en un point C assez éloigné à la fois de A et B. Il fixe avec la première lunette du cercle répétiteur le point A, puis avec la deuxième lunette le point B et il note l'écart angulaire entre elles comme avec un rapporteur.
L'opérateur se rend ensuite en A et mesure l'angle entre B et C, puis se rend éventuellement en B pour mesurer l'angle entre A et C.
Ces points où on positionne le cercle répétiteur doivent être située en hauteur et visible dans le lointain. Ce seront souvent des clochers d'églises, des beffrois, des arbres situées en haut d'une colline, ou même des tours en bois construites pour l'occasion.
Les astronomes Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain sont chargés de cette mission, qui se déroule de 1792 à 1798. Leur travail consiste à effectuer une triangulation géodésique en mesurant les angles et les distances entre des points situés sur le terrain, formant ainsi une chaîne de triangles reliant les deux villes. Cette entreprise scientifique ambitieuse, réalisée dans un contexte politique tumultueux, aboutit à la détermination de la longueur du mètre et à son adoption comme unité de mesure universelle.
Réseau de triangulation entre Dunkerque et Barcelone
Plus tard, au XIXᵉ siècle, le général espagnol Carlos Ibáñez e Ibáñez de Ibero joue un rôle clé dans le prolongement de cette méridienne. Dès 1853, il collabore au projet visant à étendre la triangulation géodésique française à travers l'Espagne jusqu'en Algérie. En 1879, en partenariat avec le général français François Perrier, ils dirigent la jonction des réseaux géodésiques espagnol et algérien en traversant la Méditerranée. Cette collaboration internationale renforce la précision des mesures géodésiques et contribue à l'unification des systèmes de mesure en Europe.
3.2Points géodésiques utilisés à Barcelone
Lors de la mission géodésique menée par Jean-Baptiste Joseph Delambre et Pierre Méchain entre 1792 et 1798 pour définir le mètre, plusieurs points géodésiques clés ont été utilisés à Barcelone. L'un des principaux était le château de Montjuïc, une forteresse militaire située sur la colline de Montjuïc, qui surplombe la ville. Ce site a servi de point de référence pour les mesures de triangulation effectuées par Méchain. Une inscription en catalan sur l'une des tours du château commémore cet événement historique, rappelant que c'est depuis cette tour que Méchain, entre 1792 et 1793, a établi les coordonnées de Barcelone et réalisé la triangulation pour mesurer l'arc méridien servant de base au système métrique décimal.
Château de Montjuic sur les hauteurs de Barcelone
L'inscription commémorant la triangulation entre Dunkerque et Barcelone du châteur de Montjuic
Un autre point géodésique notable à Barcelone est la tour de la cathédrale de Barcelone. Méchain a utilisé ce point pour ses observations astronomiques et géodésiques. Cependant, il a constaté une différence entre les latitudes mesurées à la cathédrale et au château de Montjuïc, ce qui a introduit des incertitudes dans ses calculs. Cette divergence était due à des erreurs instrumentales et à des déviations locales de la verticale, résultant en une amplitude trop grande de l'arc de méridien et une estimation légèrement incorrecte de la longueur du mètre.
La cathédrale Sainte-Croix de Barcelone
Ces points géodésiques à Barcelone ont joué un rôle crucial dans la détermination précise de la longueur du méridien terrestre, contribuant ainsi à l'établissement du mètre comme unité de mesure universelle.
Question 9
Expliquer pourquoi on a préféré utiliser la loi des sinus plutôt que le théorème de Pythagore ou les formules de trigonmétrie du collège pour mesurer des distances sur Terre.
Question 10
En 1793 les scientifiques français avaient calculé que la distance entre Dunkerque et Barcelone était proche du quart de celle d'un méridien.
On note (ϕ;λ) les coordonnées d'un point sur Terre, avec ϕ sa lattitude et λ sa longitude.
Lorsqu'on considère deux points A1(ϕ1;λ1) et A2(ϕ1;λ2) la distance d à vol d'oiseau entre eux est donnée par la formule :
d=12756arcsin(sin2(2ϕ2−ϕ1)+cos(ϕ1)cos(ϕ2)sin2(2λ2−λ1)).
Les coordonnées GPS de Dunkerque sont ϕ1=51,048876 et λ1=2,364418. et celles de Barcelonne ϕ2=41,371271 et λ2=2,188089.
Calculer à l'aide de cette formule la distance Dunkerque/Barcelone et vérifier quelle est proche d'un million de mètres.